La nymphe de la cascade

Le château de Wangenbourg, à quelques pas du village éponyme, se situe au cœur de la Suisse d’Alsace. Le relief de cette contrée bucolique rappelle en effet le pays helvète, et cela à moins d’une heure de Strasbourg en voiture.

On raconte qu’il y a fort longtemps, un seigneur belliqueux à la moralité douteuse régnait sur les terres de Wangenbourg. Un jour de printemps, revenant de bataille avec ses chevaliers, il traversa une forêt luxuriante. En son coeur : un pré illuminé par le soleil au milieu duquel une jeune fille tressait un panier de jonc. Celle-ci, bénie des fées à sa naissance, possédait une beauté et une grâce sans égales dans l’Empire germanique. Le noble, hypnotisé, s’approcha d’elle en laissant derrière lui ses soldats admiratifs.

Méfiante, la jeune fille se leva brusquement en voyant arriver le seigneur, dont les méfaits étaient connus de tous. Il lui fit pourtant la cour, comme de nombreux prétendants avant lui, mais elle le repoussa. Les semaines puis les années passèrent mais la convoitise du seigneur demeurait et la jeune fille finit de guerre lasse par céder aux avances de son admirateur. Fou de joie, il lui promit alors de n’avoir d’yeux que pour elle et d’abandonner sa vie d’excès et de frivolité.

Les premières années furent heureuses pour les jeunes mariés. Complices, ils menaient une vie merveilleuse et confortable au château. Le seigneur de Wangenbourg chérissait sa femme et tenta de respecter sa promesse. Mais au fil du temps et des guerres, sa parole s’étiola, il se mit à nouveau à convoiter d’autres demoiselles et resombra dans sa vie de débauche. La dame, terriblement affectée par la nouvelle, décida de fuir. Alors que son mari était parti en tournoi, elle profita d’une absence des gardes pour franchir le pont-levis puis sortir du château. Direction la cascade du Nideck.

La forêt était sombre et le chemin difficile ; elle trébuchait sans cesse, la vue brouillée par des larmes de tristesse et d’indignation. Les ronces étaient de plus en plus envahissantes et les pierres tranchantes, comme si des esprits malfaisants voulaient gêner sa progression, comme si son époux lui interdisait de quitter son domaine. Elle continua pourtant, lacérée par les branches, et réussit à rejoindre la cascade, son lieu de refuge lorsqu’elle était plus jeune.

Après des heures de marche, extenuée, la dame arriva finalement en haut de celle-ci. Mais l’épuisement, la tristesse et les nombreuses blessures engendrées par sa course folle eurent raison d’elle : en s’approchant un peu trop près du bord, elle tomba.

Heureusement pour elle, la fée qui lui avait donné ses merveilleux dons à la naissance, l’avait suivie lors de sa fuite et la rattrapa de justesse. « Ma protégée est en bien mauvais état. Les dons que je lui ai offerts se sont retournés contre elle », pensa-t-elle, attristée. Pour se racheter, elle transforma la jeune fille en nymphe et la laissa vivre en paix dans les eaux de la cascade qu’elle aimait tant.

Depuis ce jour, on dit qu’une ombre blanche fait parfois son apparition sur l’écume de la cascade. La nymphe préviendrait ainsi les visiteurs de l’arrivée d’un orage.